Just a Story from AMERICA :
He left New York and he looked at her

Elliott Murphy, le plus français des musiciens américains fête ses soixante-dix ans. L’occasion de le voir au mythique New Morning les 15 et 16 mars prochains. Il fête aussi ses trente ans de vie parisienne. Ce chanteur-guitariste qui a grandi dans l’univers folk, a côtoyé les grands bluesmen, d’où son album Murphy Gets Muddy (2005). Lou Reed était son ami, c’est lui qui a un peu mis le pied à l’étrier. Bruce Springsteen son complice avec qui, il continue de partager la scène quand l’occasion se présente. Cet été, il était en Corse, avec Françoise sa femme. Nous l’avons rencontré au Castel Brando d’Erbalunga où il avait pris une semaine de repos chez ses amis corses. Récit.
Hier au cours d’une discussion vous avez dit : « Je laisse les stades à Bruce (Springsteen), je conserve les petits clubs. Est-ce un choix volontaire ou un regret ?
D’abord, c’est une blague, parce que Bruce et moi nous avons commencé en même temps dans de petits clubs à New York tout comme Billy Joel, les Modern Lovers, et même Kiss. Mais après c’est le destin qui décide. Dans les années 70 ça marchait pas mal pour moi et à la fin de la décade, le style musical a changé avec le punk, la new wave. Les chanteurs compositeurs n’étaient plus trop d’actualité. Sauf ceux qui avaient beaucoup de succès comme Bruce. Moi j’étais un cran en dessous, ça a été plus difficile, mais toutefois, j’ai eu de la chance. J’ai fait mon premier concert à Paris en 1979 au Palace à Montmartre et ça m’a changé.
« Je jouais souvent au Bottom Line à Greenwich, là où Lou Reed avait enregistré A Night with Lou Reed »
Pourquoi cela vous a-t-il changé ?
J’ai aimé le contact avec le public dans ce petit club, ça me changeait de New York. Pour ce concert, j’ai fait six rappels, je crois que c’est parce que je ne voulais plus quitter la scène et entre 79 et 89 j’ai eu du succès en France, mais aussi en Espagne, en Italie, en Suède, en Suisse. Donc en 89, je quitte les Etats Unis et je m’installe en France.
Donc avant 89, vous vous produisiez toujours dans les clubs new yorkais ?

Oui, je jouais souvent au Bottom Line à Greenwich, là où Lou Reed avait enregistré (ndlr : A Night with Lou Reed). C’était un club de 500 places. New York c’est toujours un bon public, mais je restais le plus souvent sur la Côte Est, je n’ai joué que deux ou trois fois sur la Côte Ouest. Par contre, chaque fois que je revenais en France je me produisais dans de grands festivals.
Comment expliquez-vous cette situation ? Cela fait penser aux musiciens de jazz qui lorsqu’ils sont en Europe se produisent eux aussi dans de grands festivals.
C’est le même mystère, je ne comprends pas exactement le pourquoi. C’est d’autant plus surprenant, pour un artiste comme moi qui écrit les paroles et qui jouait face à un public dont l’anglais n’était pas la langue maternelle. Ça marche pour le jazz, le blues. Le meilleur exemple c’est peut être Edgar Alan Poe qui était inconnu aux USA, alors que Baudelaire lui était très en vogue. C’est d’ailleurs lui qui le premier a fait la traduction de Poe, ensuite d’Henry Miller. C’est comme ça aujourd’hui avec Paul Auster. C’est une énigme et je n’ai jamais trop cherché à savoir pourquoi, car si je trouvais la réponse ça pourrait me contrarier. Mais j’aime beaucoup la vie à l’européenne, et je me considère aujourd’hui comme le plus français des musiciens américains ! Je suis un véritable expatrié ?
« J’étais marqué par les Beatles, Dylan et Donovan »

Quand vous avez débuté la musique, vouliez vous ressembler à un artiste, aviez-vous un modèle ?
J’ai débuté la musique à 12 ans, avant les Beatles en 61. A cette époque il y avait un boum avec le folk, Peter Paul and Mary. C’est ainsi que j’ai débuté ce qui m’a donné des racines folks et ensuite c’est l’explosion des Beatles en 64. J’oublie, il y avait aussi Elvis, la première rock star, lui il venait d’une autre planète. Je ne pouvais pas atteindre son niveau. Donc la musique, les mots et les Beatles qui créent eux mêmes leurs chansons. C’est vers eux que je me projette. Elvis c’était un peu comme Johnny Halliday, il chantait ce qu’on lui donnait. Donc j’étais marqué par les Beatles, puis Dylan, et d’autres encore comme Donovan, et aussi Lou Reed, car c’était un chanteur compositeur de New York comme moi, avec la même sensibilité, la même façon de parler, le même argot.
Le côtoyez-vous ?
J’étais vraiment proche de Lou. J’ai d’ailleurs écrit les notes de la pochette de l’album du Velvet Underground, Live 69, et après ça j’ai commencé à faire des disques. D’abord chez Polydor et c’est grâce à lui, que j’ai signé avec RCA.
Puis vous signez chez Columbia ?
Oui, c’était pour Just a Story from America.
« J’ai aussi écrit des nouvelles dans Rolling Stones »
Et le succès n’étant pas là, Columbia s’est retiré ?
Comme toutes les histoires ce n’est pas très simple. Il y a une légende qui dit que Just a Story… a eu peu de succès aux States, mais beaucoup plus en Europe, avec « Anastasia » qui a très bien marché, notamment sur Sud Radio. Mais, il y a aussi le fait que je me dispute avec mon manager et je suis un peu victime de ça et du coup j’ai baissé les bras. Puis, je n’ai jamais trouvé le groupe qui me convenait pour mes tournées. À chaque disque je changeais de formation, pas comme Bruce qui avait son E-Street Band. Moi je parviens à trouver mon équilibre juste après mon premier concert à Paris avec Ernie Brooks et Tony Machine. Et aussi ça a été trop vite pour moi ! Vous rendez-vous compte, en 71, je jouais dans le métro en Europe, je reviens à New York et au bout de trois mois j’ai un contrat avec Polydor, deux mois plus loin je commence à enregistrer, c’était Too Much Too Soon.

Donc en 89, vous êtes installé en France, est-ce à ce moment-là que vous commencez à écrire des livres ?
En fait, j’ai toujours écrit comme les notes du Velvet, mais j’ai aussi écrit des nouvelles dans Rolling Stones, et d’autres magazines de musique. J’ai écrit des poèmes, fait des interviewes avec Keith Richard et Tom Waits et quand j’ai aménagé à Paris, je m’y suis mis plus sérieusement, avec le soutien de Françoise (Viallon, sa femme, ndlr).
Vous revenez à la guitare acoustique et vous rencontrez Olivier Durand. Comment s’est effectuée cette rencontre ?
C’était après Selling the Gold et je cherchais un autre guitariste et j’ai demandé à Jérôme Soligny (artiste, chanteur, rédacteur pour rock & folk) s’il connaissait un guitariste qui pouvait vite jouer avec moi. Il m’a répondu qu’il en connaissait un qui jouait avec Little Bob. Je fixe un rendez-vous chez moi à Olivier, et en 3 heures il me dit juste deux trois mots. Au début, je ne pensais pas que je pouvais jouer avec un mec comme lui. Il est si timide, mais il a des racines musicales très profondes et on se retrouve bien puisqu’il aime aussi Bob Dylan, les Rolling Stones, Tom Waits et le Blues.

Et aujourd’hui, vous êtes toujours avec lui !
Oui j’ai fait deux trois concerts en solo. Mais sinon je travaille beaucoup avec lui. D’ailleurs une année on a fait plus de cent concerts ensemble et du coup, j’ai dit « J’ai pris plus de petits déjeuners avec lui qu’avec ma femme Françoise ».
Est-elle jalouse ?
Non pas du tout. C’est peut être le secret de notre relation, nous sommes tous les deux indépendants.
Comment est né votre dernier album « Prodigal son » ?
C’est mon fils Gaspard qui l’a produit et il joue aussi de la basse avec moi et je trouve qu’il m’a trouvé un très bon son. En fait, il est très sévère il me dit par exemple : « Daddy you can’t sing that » et il me fait changer les paroles. Je l’ai sorti en 2017 et cette année, (2018) je vais faire un live et ça sera peut être un Best of Live… je change les mots.
M.M.

Discographie :
1973 : Aquashow (Polydor)
1975 : Lost Generation (RCA)
1976 : Night Lights (RCA)
1977 : Just a Story From America (Columbia)
1980 : Affairs (Courtisane)
1982 : Murph the Surf (Courtisane)
1984 : Party Girls and Broken Poets (WEA)
1986 : Milwaukee (New Rose)
1987 : Après le déluge (New Rose)
1988 : Change Will Come (New Rose)
1989 : Live Hot Point (New Rose)
1990 : 12 (New Rose)
1991 : If Poets Were King (New Rose)
1992 : Diamonds By The Yard (Razor & Tie)
1993 : Unreal City (Razor & Tie)
1993 : Paris/New York (New Rose)
1995 : Selling the Gold (Musidisc)
1996 : Going Through Something (Déjàdisc)
1998 : Beauregard (Last Call)
1999 : April (Last Call)
2000 : Rainy Season
2000 : La terre commune (w/ Ian Matthews) (Last Call)
2001 : Last of the Rock Stars… And Me and You with the Rainy Season Band (Last Call)
2001 : Live In Solingen (w/ Ian Matthews) (Last Call)
2002 : Soul Surfing (w/ Rainy Season) (Last Call)
2002 : The Next Wave (EP Last Call)
2003 : Strings of the Storm (Double CD Last Call)
2005 : Never Say Never – The Best of 1995-2005… and More (Last Call)
2005 : Murphy Gets Muddy (Last Call)
2007 : Coming Home Again (Last Call)
2008 : Notes from the Underground (Last Call)
2009 : Alive in Paris (CD & DVD Last Call)
2010 : Elliott Murphy (Last Call)
2011 : Just a Story from New York (Last Call)
2013 : It Takes a Worried Man (Last Call)
2014 : Intime (Last Call)
2015 : Aquashow Deconstructed (Last Call)
2017 : Prodigal Son
Écrits :
1989. Cold and Electric, Entreligne (France),
1990. The Lion Sleeps Tonight, Librairie Gibert Joseph (France),
1995. Where the Women are Naked and the Men are Rich, Celeste (Espagne)
2002. Café Notes, Hachette Littératures (France)
2005. Poetic Justice, Hachette Littératures (France)
2013. Marty May, éditions Joëlle Losfeld (France, traduction de l’anglais Christophe Mercier)
2016. Strings of the Storm, Éditions La Grange Batelière
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